Aria (con) da capo : variations pénales et administratives sur le thème de la sanction

 Colloque de rentrée de l’ISPEC (Aix-en-Provence, 26 septembre 2019)

                                       

 

Un thème. Comme le disait Jésus, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Aussi remercierai-je vivement le professeur Perrier d’avoir intitulé ce colloque inaugural « Variations autour de la sanction ». Remerciements qui relèvent de la sincérité et non de la traditionnelle bienséance universitaire car ici, en cette belle Faculté de droit, nous n’avons que trop peu l’occasion de parler de Jean Sébastien Bach, et cela, me semble-t-il, est fort dommage.

Je vous présenterai ici des hypothèses de travail, peut-être donc des choses erronées, inexactes ou fausses. A l’instar d’un penseur que j’affectionne particulièrement, je demande donc « votre indulgence, et plus que cela, votre méchanceté »[1].

En musique, la variation consiste à apporter des modifications à un « thème ».

Thème qui est lui-même un dessin musical constitué par une mélodie, une harmonie et un rythme, le tout formant le motif d’une composition musicale ; cette fresque acoustique est l’objet de variations. Le thème est repris, modifié opposé ou superposé à d’autres thèmes dans la construction musicale d’un mouvement ou d’une œuvre entière. L’objet, l’essence d’un thème musical est donc de varier sur les plans mélodique, rythmique et harmonique.

Aujourd’hui notre composition est une variation administrato-pénale à partir du thème de la sanction ; pour y parvenir nous allons suivre la méthode livrée par sans doute le plus grand des maîtres : Bach. Dans les variations Goldberg, le célèbre compositeur part d’un aria (un air donc) pour effectuer 30 variations d’une virtuosité à peine croyable pour finalement revenir … à l’aria. C’est un long aria da capo (air avec reprise) du style A/B/A’. La variation est ici une révolution, puisque nous revenons après une pléthore de modulations … au point de départ.

Les variations autour du thème de la sanction en mode administratif / pénal permettent peut-être d’opérer une telle révolution : on peut isoler un thème cyclique sujet à des variations. Les instruments de la sanction jouent un air qui va progressivement varier :  la mélodie demeure, mais le rythme s’accélère : il s’agit d’une ritournelle, sourde et profonde. Une basse qui ronronne puis qui s’emballe : ce sont les canons du châtiment ! Le thème évolue, manque très souvent d’harmonie car ces canons de la sanction administrative et de la sanction pénale peinent finalement à jouer dans le même rythme. Mais les châtiments demeurent, reviennent en boucle.

Une disharmonie. En un sens, les sanctions pénales sont des sanctions prononcées par une administration particulière : l’ordre judiciaire. En revanche les sanctions administratives ne relèvent pas nécessairement de l’ordre judiciaire. Il suffit de songer aux sanctions fiscales, à celles prononcées par la CNIL (Google a ainsi dû payer 50 millions d’euros à la suite d’une condamnation prononcée le 21 janvier dernier), par le CSA, par l’ADLC, l’AMF… etc.

Le trouble lié au partage des compétences semble se dissiper quand on songe au fait que sous l’action de concert et de conserve de la CEDH et du Conseil constitutionnel nombre des principes essentiels du droit pénal ont été étendus avec beaucoup de nuances tout de même aux sanctions relevant de la matière pénale : légalité, présomption d’innocence, droits de la défense, proportionnalité de la peine… etc !

Évidemment la peine privative de liberté est le monopole du juge judiciaire. Mais certaines atteintes telles que les fameuses MICAS peuvent relever du juge administratif par la grâce du Conseil constitutionnel.

La seule vraie question qui taraude praticiens et universitaires de nos jours est la possibilité de cumuler les sanctions prononcées par une administration (ou une autorité de régulation) et les sanctions pénales (eût-on été en mesure de les définir autrement que formellement). On voit évidemment ici surgir le spectre de ne bis in idem, qui n’effraie plus grand monde en septembre 2019.

Suivons donc les trois temps de l’aria da Capo afin d’être bercé :

  • par le thème tout d’abord,
  • les variations ensuite,
  • puis à nouveau le thème des sanctions administrative et pénale.

1° Le thème est une histoire en canon des sanctions pénales et administratives

Dans un de ses Capitulaires, Charlemagne préconisait la mise à mort des Saxons en cas de lèse-majesté ou de refus de la religion chrétienne. Le droit pénal a toujours été un droit de l’État, de l’administration. Pour une raison simple, le pouvoir doit rappeler qu’il détient et exerce le pouvoir. Le pouvoir doit se voir. On connaît les théories farfelues de Hobbes dans le Léviathan sur la justification du droit de punir : état de guerre de tous contre tous sans tiers étatique qui norme et régule. Cette menace pour la liberté explique la nécessité d’instaurer une autorité pour assurer la liberté de tous… etc. Même Hobbes affirme que cet état sauvage de guerre constante n’existe pas réellement. Et pour cause, l’humanité n’est pas passée de la préhistoire aux États modernes. Sauf à oublier les Égyptiens, l’Antiquité, les Achéménides, les Étrusques, les empires romain et byzantin, le Moyen âge et sa féodalité, la bataille de Hastings et la disparition postulée des Saxons en raison de la perfidie de Guillaume le conquérant. Bref, l’État moderne existe non car il était nécessaire mais car ceux qui le représentaient voulaient exercer un pouvoir global sur un autrui généralisé : un peuple, puis au tournant du XIXème siècle, la population. Et la manifestation de ce pouvoir, n’est possible qu’à travers un rapport de domination ou une violence symbolique dirait a capella Bourdieu, un rapport de puissance claironnerait Foucault. Et pour cela, évidemment le droit pénal est un instrument nécessaire, une arme indispensable.

Mais avant de punir, l’État a toujours eu besoin d’argent. La fiscalité est la seule cuirasse véritable de l’État. Le glaive serait de bien peu d’utilité sans écu ! Un exemple historique suffit à s’en convaincre.

Les historiens s’entendent pour situer au XIIème siècle l’apparition du parquet au sein des juridictions royales[2]. Or, le parquet n’obtient des prérogatives pénales certaines qu’au tournant du XIVème siècle et un véritable pouvoir institué d’action publique à la seule fin du XVIIème siècle en raison de la nécessité de maintenir l’ordre dans le pays. Le mouvement des Nus pieds a déstabilisé avec tant d’autres le pays et a convaincu le roi qu’il fallait urgemment assurer la sévère répression de toute insurrection[3]. Avant cela, la première fonction du parquet est d’assurer la défense des intérêts patrimoniaux du roi et veiller à l’intégrité du domaine royal. Le contentieux des revenus domaniaux occupe ainsi les gens du Roy (redevances, cens) tout comme les revenus féodaux tels que les droits de mutation[4].

Bref, la fiscalité (au sens très large) d’abord, le droit pénal ensuite : voilà l’histoire de la répression française et de son chef d’orchestre, le Parquet. Quand on songe à la création toute récente du Parquet européen censé se consacrer à la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (donc la fraude fiscale), on comprend aisément la logique sous-jacente puisque c’est ainsi que l’on construit un État moderne : par l’instauration d’un agent, d’une interface, d’un échangeur entre le souverain et la circulation des richesses : un agent armé car détenteur d’une violence légitime sur ceux qui sont d’ores et déjà des contribuables et qui deviendront bien plus tard des justiciables.

Bref, il n’y a pas historiquement de sanction administrative d’une part et de sanction pénale d’autre part. Ou à tout le moins aucune différence de nature n’existe entre ces sanctions. Au mieux une différence de degré. Il y a dans tous les cas, un État qui pour exercer le pouvoir doit rappeler qu’il en est le détenteur. La légendaire distinction des polices administrative et judiciaire qui repose sur l’artificielle distinction prévention/poursuite des infractions n’a au fond que peu d’importance si ce n’est de savoir quel juge tranchera le conflit.

Plus intéressante est la question de savoir pourquoi l’État punit ? La réponse est simple : car il le peut ! Car il doit rappeler son pouvoir à ses sujets, non pas ceux qui sont sujets de droits, mais ses assujettis. (Il s’agit ici de rappeler une sujétion). Les pénalités fiscales, la prison, l’amende, la confiscation (cet impôt incroyablement mal déguisé sur les activités illégales mais incroyablement rentable) rappellent aux condamnés qui a le vrai pouvoir.

S’il y a une différence de degré et non de nature, c’est car les sanctions administratives et pénales ne sont que les faces d’une même pièce, le châtiment. Et ces châtiments vont opérer des variations : ceux qui tintinnabulaient en canon vont aspirer à carillonner de manière synchrone.

2° Voilà le temps de la variation : modification de l’harmonie et du rythme

Il est une évidence : le pouvoir étatique lève l’impôt. Le sujet, bref l’assujetti, paie l’impôt. Les puissants échappent, contournent l’impôt en optimisant, bien évidemment. Le droit fiscal est, sans aucun doute possible, le plus puissant des révélateurs des relations de pouvoir au sein d’un État. Aussi lorsque son bras armé se met à bégayer, lorsque le thème se répète, quand les châtiments se multiplient, l’on en vient à se demander si le Da capo (la répétition du thème) n’est pas devenu un diabolus in musica : un détail diabolique, un triton qui se serait aussi furtivement que subrepticement immiscé dans la partition. Le refrain qui se répète devient entêtant… oppressant et annihilant.

Le contexte est connu : peut-on par exemple cumuler des poursuites devant la Commission des sanctions de l’AMF et devant le tribunal correctionnel pour des abus de marché ? Peut-on majorer les impôts dus et parallèlement déclencher l’action publique au nom d’une fraude fiscale ?

Peut-on agir bis in idem ? La réponse est connue : « oui »[5]… puis « non »[6]… puis « oui si »[7]…  « non mais »[8], enfin « oui car »[9].

Depuis « A et B contre Norvège », la Cour européenne exige que les violons larmoyants du pénal jouent une partition complémentaire, synchronisée avec le bourdonnement des tambours administratifs, et surtout fiscaux, donc au même tempo : il revient à l’État nous dit la Cour d’établir que des poursuites cumulées sont unies par un « lien matériel et temporel suffisamment étroit » afin de prouver que ces procédures « se combinaient de manière à être intégrées dans un tout cohérent », au sein donc de la même partition !

Respectons-nous cette nouvelle harmonie, ce rythme binaire et régulier sans contretemps mais avec contre-point ? Bref, le droit français a-t-il depuis 2016 composé une fugue « à la Bach » ? Pour le droit financier, oui depuis la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016.

En droit fiscal, il faut s’attarder sur une date : le 11 septembre 2019. Une ordonnance en chassait une autre (au revoir enfance délinquante, bienvenue justice pénale des mineurs). Surtout les deux tours du châtiment fiscal étaient sauvées, consolidées par pas moins de six arrêts[10] de la chambre criminelle affirmant :

  • que d’anciens ministres peuvent être punis nonobstant les réserves du Conseil constitutionnel quant à la nécessaire gravité de la fraude fiscale ;
  • que la réserve d’interprétation de la France sur ne bis in idem (art. 4 protocole 7 CESDH) n’a pas à être appréciée par les juges internes alors même que la France n’ose même plus l’exciper devant la Cour européenne (v. CEDH, Nodet c. France, 6 juin 2019) :
  • qu’il n’y pas lieu à surseoir dans l’attente de la décision du juge de l’impôt quand bien même la condamnation serait interdite faute de devoir l’impôt.

Bref, le 11 septembre 2019 la double répression fiscale était sauvée… à nouveau !

Ce qui a permis à la même chambre criminelle dans un arrêt ancien en date du 25 septembre 2019 de valider un cumul d’actions douanière et pénale.

La partition est bien loin de la perfection de la fugue. Tout au plus sommes-nous face à un canon désorganisé. Les canons de la répression reprennent en fanfare et en disharmonie le thème : mieux vaut trop punir que laisser périr.

Reste une question lancinante … pourquoi s’acharner quand une seule répression suffit à rendre exsangue l’adversaire (fiscal) ? Le thème, toujours lui, y répond car à l’instar de Bach et de son souci de la perfection, au thème initial répond, après les variations, le thème final.

3° Le thème final (entreprend le retour du sens) en entonnant l’allegro du châtiment

Reprenons le thème initial, le châtiment, désormais joué allegro … ma non troppo si possible : telle est la cadence de cette nouvelle ode à la joie ! La définition de la peine est un incroyable exercice de style. Tous les manuels de droit pénal et de droit de la sanction attestent de la difficulté à définir la punition. La doctrine semble en proie a minima au doute, et a maxima à l’abjuration. En réalité, un consensus se dégage : il semble impossible de définir la peine.

Or on sait tous que la surpopulation carcérale existe, que les CI pullulent, que les policiers ne chôment pas, que l’AGRASC s’enrichit chaque jour davantage, que les SPIP croulent sous le poids des dossiers… bref les délinquants courent rarement longtemps les rues…

Les châtiments sont là … mais personne ne saurait les définir ? La vérité est crue … donc cruelle. Chacun sait ce qu’est une peine. Mais la trivialité, la banalité et la grossièreté, le truisme et le tropisme, l’obscénité et la régularité de la peine chagrinent les esprits convaincus par l‘idée de progrès constant et inexorable de la raison, tout portés à croire en cette force kantienne de l’entendement. Nous aimerions tous nous dire que le droit positif est infiniment plus doux que le droit de jadis et beaucoup moins cruel que les peines de naguère.

Nous aimons la suave mélodie de l’humanisme ambiant de la sanction, le sensualisme des châtiments comme le préconisait en son temps Helvétius. Nous voulons croire que notre droit est enfin bercé des doux chants de la rationalité et de l’empathie léguée par les lumières et scandés par le plus célèbre des Marquis dans Des Délits et des peines. Que les peines ont une utilité sociale, que la prophylaxie joue pleinement à titre général et individuel grâce à l’individualisation magnifiée par Saleilles. Que l’histoire de la peine comme le disait Ihering est celle de sa disparition (et non de son adoucissement, problème élémentaire de traduction) et non comme dirait Shakespeare une histoire pleine de bruits et de fureurs.

On désire évidemment adhérer à l’idée que l’on punit car le délinquant l’a bien mérité en commettant une infraction : il a littéralement violé, brisé le lien social. Infraction… il a étymologiquement fracturé le lien l’unissant aux autres membres de la société en ne respectant pas les termes du contrat qui nous lie et relie tous. Et ce non-respect du contrat social justifie qu’il prenne sa peine, qu’il l’accepte. Il doit d’ailleurs reconnaitre qu’il est un hors-la-loi puisqu’il s’est de lui-même exclu par son comportement de la cité : sa peine est alors méritée. Le juge ne fait d’ailleurs que reconnaître un état : celui du délinquant qui a cassé le lien le rattachant à la société. Tout ceci est romantiquement salvateur et rassurant. Toute la structure punitive, toute la passion française de la punition est auto légitimée… On raconte souvent que pour Bach l’aria da capo servait à prouver que rien en réalité n’est vraiment achevé, fini. Et que sur le métier il faut continuellement remettre son ouvrage.

Remettons le métier sur l’ouvrage de la punition. La peine, le châtiment, la sanction… toutes ces notions ont un sens que l’histoire met en exergue : infliger une douleur corrélative au dommage subi. La peine met à la peine, littéralement. Car de tout temps (pensons à la Loi des XII tables et son célèbre passage sur la partis secanto repris par Shakespeare dans le Marchand de Venise), on a répondu à un dommage par la souffrance, la cruauté. On punit, on châtie pour infliger une douleur. Et pourquoi ? Car faire mal à autrui produit de la joie chez celui qui s’y adonne. Pas de fête sans cruauté disait le vieux Nietzsche. Il n’y a pas de responsabilité sans souffrance et plaisir parallèle. L’histoire du droit est là, son actualité également : on châtie pour faire mal car dans la souffrance d’autrui celui qui punit éprouve un plaisir. Ah le doux son des portes du pénitencier qui se referment sur tel édile coupable de blanchiment. Et quel soulagement à l’idée que les « pointeurs » auront enfin le sort qu’ils méritent en prison. Belle perspective que celle d’un trafiquant de stupéfiants qui roule en grosse berline et qui se fait rattraper corps, âme et bien par l’Agrasc. Ou encore du terroriste qui tombe sous les balles des héros du quotidien. Qui vit par l’épée périt par l’épée. Œil pour œil dent pour dent : et l’homologie devint justice avec les réformateurs du XVIIIème. Vae victis, malheur au vaincu. Au jeu de lois, celui qui perd, (et tuons tout suspense, le délinquant ne gagne jamais) perd gros car s’il a consciemment pris le risque du délit, il doit en assumer les conséquences que la société a fixées au préalable (quand bien même il n’ait pas pu participer à l’échelle des sanctions). Comme le dirait l’AGRASC elle-même en citant de manière incorrecte (substantiellement et formellement) le Digeste qui n’avait d’ailleurs rien demandé : nemo ex delicto consequatur emolumentum.

On châtie disait Nietzsche comme un parent punit ses enfants[11] : par colère tout d’abord puis car au fond, tout dommage connaît une compensation dans un équivalent de souffrance. On peut se raconter de belles histoires par la suite : le bien de l’enfant, du délinquant. A posteriori, tout est juste en droit… a posteriori. C’est le métier qui rentre. Leur amendement, leur socialisation, ou leur resocialisation sont-elles les excuses que l’on se donne, les justifications dont on se pare ? Peut-être.

Est-on condamné à choisir entre un système cruel et honnête d’une part et une structure punitive dans le déni d’autre part ? Précisons cependant que les travaux historiques ont montré que les peines corporelles étaient en réalité fort rares mais fort bien médiatisées sous l’Ancien droit. La chanson Les larmes de Castamere (écouter ci-dessous), thème que l’on entend à plusieurs reprises et avec plusieurs variations dans la série Game of Thrones en atteste : punir peu suffit … quand on châtie avec éclat pour susciter l’effroi.

Ainsi, on punit, pénalement et administrativement, civilement et commercialement pour une raison et à une seule condition, quand on a le pouvoir de le faire, et dans un seul but, faire mal. Bref la sanction est une douleur qui par compensation fait du bien à celui qui l’inflige et qui a le mérite de rappeler qui détient le pouvoir, et comment il entend l’exercer. Tout le reste serait poésie, ou pour le dire plus convenablement, controverse doctrinale ?

Si vous aimez le droit répressif, sur le plan théorique, ou pire, en pratique est-ce à dire que vous aimez la chatoyante mélodie de la souffrance infligée à autrui et ce au nom du mérite car chacun doit être comptable de ses actes. Le droit pénal a un relent de cruauté… c’est le goût historique du sang qui suinte le long de ses normes pariétales. La répression fleure la souffrance. La bonne nouvelle est qu’il est sans doute possible de mettre ce plaisir de la douleur sur le compte du « il l’a bien cherché ». Car évidemment pour se laver les mains, il faudra adhérer à une des plus belles mystifications de l’esprit, le libre arbitre. Pour voir le droit pénal tel qu’il se donne in verito, peut-être faut-il alors se méfier et se démettre de ses propres résistances intellectuelles : il faudrait penser contre soi, beaucoup, et contre les autres, un peu. Faire un pas de côté et affronter les renoncements et les biais cognitifs qui inondent nos raisonnements.

Les monstres froids aiment se chauffer au soleil de la bonne conscience : c’est ainsi que l’Etat « s’achète l’éclat de (n)otre vertu et le fier regard de (n)os yeux »[12].

Voilà ce que serait le droit de la sanction : le droit de la souffrance justifiée, légitimée.

Les barbares sont-ils devenus des rois ? Mais n’ont-ils jamais cessé de l’être ?

La cruauté hypocrite voilà ce que je vous proposerais de retenir comme définition moderne et provisoire de la sanction… qu’elle soit pénale, administrative, civile ou commerciale, peu importe le contenant, pourvu que l’ivresse de la vengeance nous enivre.

 

 

[1] M. Foucault, « La vérité et les formes juridiques », in Dits et écrits, vol. 1, n° 139, p. 1406

[2] V. J.-M. Carbasse, (dir.), Histoire du Parquet, PUF, 2000.

[3] V. M. Foucault, Théories et institutions pénales, EHESS, Seuil, Flammarion, 2015.

[4] V. S. Dauchy, « De la défense des droits du roi et du bien commun, », Histoire du parquet, dir. J.-M. Carbasse, GIP Droit et justice, PUF, 2000, p. 56-57.

[5] Décis. n° 89-260 DC du 28 juill. 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier.

[6] CEDH 4 mars 2014, req.18640/10, Grande Stevens et a. c/ Italie ; Cons. const., 18 mars 2015, décis. n° 2014-453/454 QPC. Pour les hésitations antérieures de la Cour v. v. CEDH, 23 octobre 1995, req. 15963/90, Gradinger c/ Autriche ; CEDH, 30 juillet 1998, req. 84/1997/868/1080, Oliveira c. Suisse.

[7] Cons. const., 14 janv. 2016, n° 2015-513/514/526 QPC.

[8] CEDH, 15 novembre 2016, req. 24130/11, A. et B. c/ Norvège ; CEDH, 16 avril 2019, req. 72098/14, Armannsson c. Islande ; CEDH, 6 juin 2019, req. 47342/14, Nodet c/ France.

[9] Cons. const., décision n° 2016-546 QPC, du 24 juin 2016 ; Cons. const., décision n° 2016-545 QPC, du 24 juin 2016; Cons. const., décision n° 2018-745 QPC, du 23 novembre 2018.

[10] Cass. crim, 11 septembre 2019, n° 18-81.980, n° 18-81.067, n° 18-82.430, n° 18-81.040, n° 18-83.484, n°18-84.144.

[11] F. Nietzsche, Généalogie de la morale, « 2ème dissertation », (§ 4).

[12] F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, « De la nouvelle idole », 1883.

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