Lutte contre les discriminations et valorisation des identités

Conférence de l’ISPEC « La lutte contre les discriminations », janv. 2017

 

Il faut savoir reconnaître le mérite de ceux qui œuvrent, souvent en silence, pour que les injustices subies le plus souvent par les plus démunis soient corrigées, voire punies. Cela est d’autant plus vrai à l’université où les questions juridiques sont essentiellement théoriques, les idéologues du droit se battant souvent par chronique interposée en se souciant peu de l’efficience de leurs bravades… L’institution du Défenseur des droits participe de cette logique d’effectivité du droit au nom de l’égalité, peut être réelle, mais pas seulement. Une simple lecture de son périmètre d’intervention donne rapidement le tournis. L’office de cette institution est des plus nobles. Malgré les efforts fournis et les succès empilés, il y a de quoi rester sceptique quand une agence immobilière publie une annonce excluant de l’offre locative « les Noirs ». Il y a de quoi rester dubitatif lorsque, hier encore devant le Conseil constitutionnel, avait lieu une audience QPC tendant à contrôler la constitutionnalité des contrôles d’identité au faciès accomplis au moyen d’un détournement et du CESEDA et de l’article 78-2 CPP ?

La lutte contre les discriminations ne semble pas près de s’achever. Le Défenseur des droits n’est donc pas roche de sa disparition, sauf à se faire absorber peut être un jour par une nouvelle institution venant englober le Défenseur des droits, le CGPL et la CNCDH. L’heure est aux économies publiques, qui sait dès lors quel sera l’avenir de ces institutions empêcheuses de tourner en rond ? Qu’ajouter à ce qui a été dit ? L’on court le risque évident de faire moins bien et moins juste du haut d’un perchoir que l’on nomme chaire et qui éloigne toujours plus l’universitaire du monde qui l’entoure.

Il semble possible de jouer ici un double rôle :

  • Un rôle classique consistant à vous livrer un éclairage sur le traitement judiciaire réservé à une discrimination bien spécifique : les contrôles au faciès.
  • Un rôle de passeur de sciences en vous livrant le résultat d’une étude sociologique qui éclaire peut-être les déterminants de certaines discriminations en France

Plan. Si d’une part il apparaît pertinent de s‘intéresser à la responsabilité de l’Etat à raison de discriminations commises par des contrôles au faciès (I), il semble opportun de s’intéresser à l’état des responsabilités au regard des ressorts des discriminations ici en cause (II).

I – Discriminations et responsabilité de l’Etat

Par ses décisions du 9 novembre 2016 [1], la Cour de cassation reconnait que lorsqu’un contrôle présente un caractère discriminatoire injustifié, il engage la responsabilité de l’Etat en raison du fonctionnement défectueux du service de la justice. L’intérêt des décisions du 9 novembre 2016 ne se limite pas, loin s’en faut à cette assimilation du « contrôle au faciès » à une faute lourde (B). Les arrêts rendus par la 1ère chambre civile précisent surtout également la répartition de la charge de la preuve de ce caractère discriminatoire.

A – Faute

Origine. Aux termes de l’article L. 141-1 du COJ : « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ».

Depuis la décision « Bolle-Laroche » rendue par l’Assemblée plénière le 23 février 2001[2], l’on sait que « constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ». L’apport des décisions du 9 novembre 2016 est dès lors évident puisqu’est affirmé qu’une faute lourde est « constituée lorsqu’il est établi qu’un contrôle d’identité présente un caractère discriminatoire ». Reste donc à prouver la caractère discriminatoire.

B – Preuve

Présomption. Comment prouver une discrimination ? Le plus souvent les motifs touchant au refus d’un service ou à un comportement hostile restent dasn le for intérieur de son auteur. La Bible elle-même reconnaît que nous ne disposons pas (encore) de machine apte à sonder les reins et les cœurs. C’est la raison pour laquelle la technique probatoire mobilisée par la Cour de cassation est des plus intéressantes[3]. Selon la Cour, il appartient à celui qui se prétend victime d’apporter des « éléments de faits de nature à induire une différence de traitement et laissant présumer l’existence d’une discrimination ».

Celui s’estimant victime n’a donc pas à établir le caractère discriminatoire du contrôle, il lui revient simplement de rapporter des éléments factuels rendant vraisemblable une discrimination : cette dernière sera alors présumée. Et c’est alors à l’administration de démontrer l’absence de différence de traitement ou sa justification. Comme l’observe le professeur Perrier : « Toute la question est alors de savoir quels éléments factuels laissent présumer ce caractère discriminatoire, et comment l’administration peut-elle renverser la présomption ».

Eléments factuels. Il apparaît tout d’abord que des études sociologiques attestant de la fréquence des contrôles d’identité discriminatoires sont, à elles seules, insuffisantes à laisser présumer une discrimination[4].

  • Cela est d’autant plus évident lorsque des témoignages ne font pas état de la différence de traitement alléguée et soulignent que l’opération de contrôle s’est déroulée dans le calme et la courtoisie (n° 15-24.213) ;
  • cette insuffisance n’est pas remise en cause par l’agressivité verbale des fonctionnaires de police, dès lors que ces éléments, étrangers à l’origine de l’intéressé, ne caractérisent pas un comportement à connotation raciste (n° 15-24.214).
  • En revanche, lorsque ces études sont corroborées par un témoignage attestant de ce que « les opérations de contrôle ont visé, durant une heure trente, de façon systématique et exclusive, un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine » (n° 15-25.873, 15-25.876, 15-25.877), les éléments de fait sont de nature à laisser présumer l’existence d’une discrimination.

Avec, une fois de plus, le professeur Perrier, l’on doit se rendre à l’évidence : « les éléments factuels sont surtout des témoignages attestant du caractère discriminatoire »[5].

Justifications. Une fois la discrimination présumée, l’administration doit rapporter la preuve de l’absence de caractère discriminatoire.

Ainsi, le caractère non-discriminatoire du contrôle peut notamment résulter :

  • de la correspondance de l’intéressé au signalement d’un suspect recherché (n° 15-24.207, 15-24.210), dès lors qu’il « ne ressort pas des témoignages que le comportement des fonctionnaires de police procédait de considérations, notamment raciales, autres que celles tirées des éléments dont ils disposaient sur les circonstances de l’infraction qui venait d’être commise » ;
  • du comportement suspect de l’intéressé, son attitude pouvant faire naître un soupçon de commission d’infraction[6], particulièrement lorsque celui-ci sort en courant d’un immeuble, le visage dissimulé[7].

Une fois la discrimination présumée, si elle n’est justifiée par l’administration, alors la responsabilité du service public de la justice peut être engagée. Les contrôles au faciès ont donc un régime juridique connu. Si certaines idées ont été avancées pour les prévenir (récépissé de contrôle), d’autres, telles que l’emploi de caméras mobiles[8] seront peut-être de nature à limiter les discriminations policières.

II – Discriminations et état des responsabilités

Les discriminations demeurent. Le droit les combat, à travers une autorité comme le Défenseur des droits, à travers l’action publique menée au nom des articles 225-1 et s. du code pénal… à travers des lois visant à promouvoir l’égalité réelle[9] (mais qu’était l’égalité jusque-là, une chimère, un verbiage, une billevesée) … L’égalité homme-femme reste un vœu pieu à telle enseigne qu’un candidat sérieux à l’élection présidentielle envisage de réduire cette inégalité à concurrence de moitié. L’idée n’est pas de les supprimer, mais simplement de les réduire. Ou comment avouer que quoi qu’on fasse, les inégalités et les discriminations demeureront et c’est ainsi… Soyons honnêtes, c’est assez frustrant. Me revient alors l’image employée par ce parquetier marseillais : la sensation de vider la Méditerranée avec une petite cuillère. Le droit étant peut-être impuissant à réduire les inégalités et discriminations, j’ai donc décidé d’aller voir ce que d’autres scientifiques pensent de tout ceci. Car il doit y avoir une explication. Les politiciens aiment rejeter la faute sur les minorités puisque, par définition, elles n’influencent aucun vote. Et ce alors même que les démographes ont toujours démontré que l’intégration d’une population immigrée relève toujours du bon vouloir des seuls autochtones…

Et à dire vrai, il semblerait qu’il y ait une explication.

Laissez-moi donc-vous conter l’histoire d’une étude de psycho-sociologie internationale dirigée par un professeur, à tout seigneur tout honneur, de l’Université de Clermont Ferrand, le professeur Serge Guimond et publiée dans le très respecté Journal of Personality and Social Psychology[10]. L’équipe était composée de chercheurs issus d’Universités prestigieuses (Clermont, Nanterre, Bourgogne, Ottawa) et plus modestes puisque deux chercheurs de cette équipe, dirigée donc par un Clermontois, étaient en poste dans une Université obscure du nom de Harvard…

A – Intégrations

Le but de cette étude publiée en 2013 était le suivant : essayer de faire un lien entre le traitement national de la diversité et les préjugés et torts ressentis et vécus par les populations minoritaires. Bref essayer de faire un lien entre une politique nationale de traitement des différentes cultures et leur capacité à vivre ensemble.

Deux schémas ont été testés : l’assimilation qui est entre autres le modèle allemand, et le multi-culturalisme, dont le Canada est le thuriféraire patenté.

« Much of these debates has been concerned with two opposite ways of dealing with diversity: assimilation(AS) and multiculturalism (MC). AS represents one of the most pervasive ideological frameworks guiding cross-cultural relations. It suggests that ethnic and cultural minorities in general and immigrants in particular should adopt the language, customs, and values of the dominant group and leave their own cultural char-acteristics behind (Gordon, 1964;Moghaddam, Taylor, & Wright,1993;Sidanius et al., 1997). As a policy, it implies governmental efforts to homogenize the population and to reduce diversity. As such, countries advocating this approach have been classified as“low” in terms of their pro-diversity policy” (p. 942).

However, in the 1970s, MC emerged as an alternative to AS. MC seeks to recognize andpromote cultural diversity as a positive national feature (see Berry,2005,2006;Berry, Kalin, & Taylor, 1977;Guimond, 2010;Park &Judd, 2005;Plaut, Garnett, Buffardi, & Sanchez-Burks, 2011).Countries advocating this approach have been classified as “high”in terms of their pro-diversity policy (see Banting & Kymlicka,2003;Berry et al., 2006;Bloemraad, Korteweg, & Yurdakul,2008).Social psychologists have studied people’s attitudes towardthese policies as “intergroup ideologies” (Vorauer, Gagnon, &Sasaki, 2009). They found that support for AS is related to higherlevels of prejudice and ethnocentrism, whereas support for MC is (942) associated with more positive intergroup attitudes” (943).

B – Exclusions

Quelle est la conclusion de l’étude ?

All societies are multicultural to some extent, but not all societies have developed a policy designed to promote cultural diver-sity as a national goal. The results of the present study considering four countries that have taken different positions on the MC–AS debate are consistent with previous research in suggesting that a national policy that takes pride in cultural diversity is effective in improving intergroup relations”. P. 952. L‘originalité de l’étude menée à travers l’Allemagne, le Canada, les US et le RU tient à la surreprésentation d’un critère. Ce n’est pas tant l’adhésion de chaque sondé à un système qui détermine le plus la manière dont les minorités sont perçues et traitées. Le critère le plus déterminant, l’élément causal en réalité est la manière dont chaque citoyen perçoit son système politique, sa norme de traitement des minorités. Plus on perçoit le système comme étant multi culturel, moins on discrimine les minorités.

« Our results showed that country differences in prejudice can be explained not simply by the fact that personal support for MC is higher in Canada or the U.S. than elsewhere but mainly by the fact that the sociopolitical context in Canada and to some extent in the U.S. is characterized by a more powerful multicultural norm that values cultural diversity than is found in the U.K. and Germany” (p. 952).”

 

Où l’on comprend que l’image et la perception que les citoyens ont des politiques publiques sont plus importantes dans la gestion des minorités que leur adhésion à une politique de la diversité.

L’apport de cette étude semble considérable. Elle l’est d’autant plus que ses auteurs avaient opté pour un biais d’étude très précis. La perception des minorités à travers les préjugés dont elles font l’objet s’est fait à travers une minorité prédéterminée : les musulmans.

Bref, cette étude n’est sans doute pas la panacée. Les auteurs concluent d’ailleurs au besoin de la compléter. Et loin de moi l’idée de vouloir appréhender toute discrimination à travers ces conclusions. Mais si l’on part de l’idée que la lutte contre les discriminations a sans doute des limites, peut-être pourrait-on imaginer que cette lutte s’accompagne d’une politique assumée de valorisation de la diversité. Non pas tant car l’on y adhère personnellement mais plus simplement car il est sans doute temps que nos perceptions changent.

L’autre ne sera jamais notre égal si nous ne lui reconnaissons pas le droit d’être fier non pas tant « de ce qu’il est » mais surtout « de qui il est ».

 

 

 

 

[1] Civ. 1re, 9 novembre 2016, n° 15-24.207, 15-24.208, 15-24.209, 15-24.210, 15-24.211, 15-24.212, 15-24.213, 15-24.214, 15-25.872, 15-25.873, 15-25.875, 15-25.876, 15-25.877.

[2] N° 99-16.165.

[3] Et tout sauf inconnue des travaillistes : v. par ex. Arrêt CJCE, Handels-og Kontorfunktionærernes Forbund I Danmark c/ Dansk Arbejdsgiverforening, agissant pour Danfoss, dit « affaire Danfoss », du 17 octobre 1989, aff. 109/88.

DIRECTIVE 97/80/CE DU CONSEIL DU 15 DÉCEMBRE 1997 RELATIVE À LA CHARGE DE LA PREUVE

DANS LES CAS DE DISCRIMINATION FONDÉE SUR LE SEXE :

– Article 4 – Charge de la preuve : « 1. Les États membres, conformément à leur système judiciaire, prennent les mesures nécessaires afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du

principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement ».

En droit français : « Si le salarié doit soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence » (Cass. soc., 28 sept. 2004, n° 03-41.825 à 03-41.829, F-P+B, M. Hoarau et a. c/ Sté STAVS).

[4] Pourvois n° 15-24.208, 15-24.209, 15-24.212

[5] Encore faut-il préciser que les attestations des témoins doivent être été soumises au débat contradictoire, ce qui doit résulter des conclusions de l’intéressé et du bordereau de communication des pièces (n° 15-25.875).

[6] L’office de la cour d’appel est alors de rechercher si cela ne justifie pas la différence de traitement (pourvoi n° 15-25.872).

[7] N° 15-24.211.

[8] Article L241-1 CSI (loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 – art. 112) : « Dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens ainsi que de leurs missions de police judiciaire, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées.

L’enregistrement n’est pas permanent.

Les enregistrements ont pour finalités la prévention des incidents au cours des interventions des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale, le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ainsi que la formation et la pédagogie des agents.

Les caméras sont portées de façon apparente par les agents et les militaires. Un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Le déclenchement de l’enregistrement fait l’objet d’une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l’interdisent. Une information générale du public sur l’emploi de ces caméras est organisée par le ministre de l’intérieur. Les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent.

Les enregistrements audiovisuels, hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout de six mois.

Les modalités d’application du présent article et d’utilisation des données collectées sont précisées par un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ».

[9] Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes.

[10] S. Guimond et al., “Diversity Policy, Social Dominance, and Intergroup Relations : Predicting Prejudice in Changing Social and Political Contexts”, Journal of Personality and Social Psychology, 2013, Vol. 104, n°. 6, 941–958.

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