Le Conseil constitutionnel et l’encadrement de la matière pénale

(Cycle de conférences ISPEC, nov. 2018)

 

 

Je tiens tout d’abord à dire ma fierté d’intervenir auprès de Mme Maestracci. Je ne reviendrai pas sur son parcours. Il me revient simplement, pas encore en qualité d’intervenant, mais tout d’abord en qualité de directeur adjoint de l’ISPEC de la remercier. Au nom de l’Institut mais également au nom des nombreux étudiants qui ont eu la chance de l’écouter aujourd’hui. Et puisque j’ai conscience que c’est votre présence et non la mienne qui justifie cette affluence, je ne garderai la parole que peu de temps (cette phrase n’est pas plus rassurante dans la bouche d’un universitaire que dans celle d’un avocat, je le crains).

Au demeurant je vous avouerai que j’aurais préféré, à titre infiniment personnel, que ce soit l’Université qui se déplace vers le Conseil constitutionnel et non l’inverse. Je m’explique. Étant quelque feu féru d’art, si la manifestation de ce jour avait pu être organisée au Conseil constitutionnel comme le très réussi Salon du livre juridique le mois dernier, nous aurions tous pu profiter de l’occasion pour visiter les nombreux musées parisiens et enrichir notre culture des nombreux tableaux qui ornent les plus belles salles de la capitale.

L’intérêt est évident. A l’heure d’aborder l’encadrement de la matière pénale, je me suis fort classiquement interrogé sur les termes de ce sujet qui m’a été imposé mais que j’aurais bien pu choisir (en posant une question toutefois, on ne se refait pas).

Encadrer… encadrer c’est mettre un tableau dans un cadre, au sein de bordures. Et pour voir les plus beaux tableaux dans les plus beaux cadres, le musée Granet et l’Hotel de CAUMONT peuvent aider, mais Orsay, Le Louvre, Marmottan, Beaubourg ou encore la Fondation Louis Vuitton permettent sans doute bien plus.

En visitant ces musées, sans doute que le travail du Conseil constitutionnel apparaîtrait sous d’autres auspices, un peu comme le Parlement de Westminster et ses multiples lumières dans les différents tableaux de Monnet exposés récemment au Petit Palais.

Bien évidemment filer la métaphore de l’encadrement révèle un effet de réduction. Si le Conseil encadre, alors l’œuvre encadrée est celle du législateur, et ici particulièrement la loi pénale. Cela signifie également que la matière qui sert à fixer les limites du tableau est la norme constitutionnelle. On le voit… encadrer la loi pénale au moyen de la norme constitutionnelle revient à réduire la matière constitutionnelle… mais n’ayant pas choisi le sujet… nous devrons tous postuler que ce thème révèle plus la pensée de celui qui m’a attribué ce thème que la mienne… ou peut-être s‘agit-il d’une vérité que le sujet ne fait que révéler.

En tout état de cause, aborder l’encadrement à travers la représentation picturale, c’est postuler que la loi pénale est une œuvre, et donc le législateur un artiste. Et rares sont les artistes à avoir étendu les limites de leur art jusqu’à concevoir également le cadre. En outre, cette action d’encadrement n’est pas propre au Conseil. On sait quel rôle ont joué la CEDH et la CJUE. Et nul n’ignore que toutes ces juridictions s’influencent respectivement même si l’on peut ne pas adhérer à la théorie du « Dialogue des juges ».

Bref la question de l’encadrement de la matière pénale donne envie de scruter davantage les cadres des tableaux. Et l’évidence commande de constater, on vient de le dire, qu’encadrer sert avant tout à établir des bordures, à limiter le champ de l’ouvrage. Le cadre du tableau permet prima facie à identifier rapidement où commence l’œuvre. Encadrer c’est cadrer son action, la délimiter sauf on le verra à avoir recours à un trompe-l’œil.

Mais encadrer c’est aussi renforcer l’œuvre, la protéger. La qualité du cadre permet d’ailleurs le plus souvent de connaître la valeur que l’auteur ou le propriétaire accorde à l’œuvre. Plus le cadre est de qualité, plus l’ouvrage est protégé et donc estimé. Ce qui permet, vous le constatez, de revaloriser et l’œuvre (législative), et le cadre (constitutionnel).

I – Limiter le champ

L’étude du champ pénal dans la jurisprudence constitutionnelle atteste des relations parfois tendues entre ces deux disciplines. On sait que l’émergence du droit pénal constitutionnel n’a été ni rapide, ni évidente[1]. Pour ce faire, il fallait avant tout disposer de normes supérieures aptes à encadrer la loi. Il fallait surtout des juges prêts à contrôler l’œuvre législative. Et se présentait alors un paradoxe difficilement soluble.

Le texte phare allait être, évidemment, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : égalité devant la loi, liberté, propriété, sûreté, résistance à l’oppression, principe de légalité, d’innocence, de nécessité des peines, liberté d’opinion, de communication des pensées… Le matériau est bien là (même si on le verra, la Constitution de 1958 et les PFRLR ont également bien servi). Mais il y a un paradoxe : ce n’est pas un hasard si le mot « loi » revient à 11 reprises en 17 articles. Le légicentrisme est tel qu’il a fallu une certaine dose d’audace pour pouvoir soutenir un contrôle de la loi par le juge au regard d’une norme constitutionnelle. La Constitution de 1958 a aidé, tout comme la lettre et l’esprit de la Convention européenne de sauvegarde de 1950 et le droit de l’Union européenne porté par les arrêts Costa et Enel.

Alors que la loi était la borne de la liberté dans l’article 4 DDHC, le droit constitutionnel est donc devenu la bordure, le cadre de la loi pénale. Le paradoxe est tel que cette fonction première s’efface parfois au profit de que l‘on appelle un trompe-l’œil.

A – Établir des bordures

Etablir une bordure, c’est montrer ce qui relève de l’œuvre et ce qui n’en est plus. C’est fixer une limite claire entre ce qui relève du champ artistique, et ce qui en est exclu.

Champ de la « matière pénale ». Dans sa décision du 30 décembre 1987[2], le Conseil constitutionnel avait affirmé que « toute sanction ayant le caractère d’une punition » obéissait aux principes de nécessité et de proportionnalité déduits de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme, « même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire ». Il admettait ainsi le pouvoir punitif des autorités administratives qu’ultérieurement il affirma ouvertement : ainsi, il déclara que le pouvoir sanctionnateur de la Commission des opérations de bourse (déc. n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, Rec. p. 7 cons. 6) et celui du Conseil supérieur de l’audiovisuel (déc. n° 2000-433 du 27 juillet 2000, Rec. p. 121, cons. 48 à 52) n’offensaient pas la séparation des pouvoirs, ni aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, pourvu que « soient respectés les principes de nécessité et de légalité des peines, ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition ».

Mais cette construction d’une matière pénale dépassant le simple droit pénal connaît une limite très tôt formulée par le Conseil constitutionnel : l’œuvre de la matière pénale au sens large ne saurait dépasser une frontière précisée dans une décision n° 73-80 L du 28 novembre 1973

11 : « Considérant qu’il résulte des dispositions combinées du préambule, des alinéas 3 et 5 de l’article 34 et de l’article 66 de la Constitution, que la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables est du domaine réglementaire lorsque lesdites peines ne comportent pas de mesure privative de liberté ». Là est la clef !

S’il existe donc une matière pénale partagée entre droit pénal et répression administrative, il existe pareillement une distinction, sur le plan procédural, entre polices administrative et judiciaire.

PA/PJ loi renseignement. Deux tendances convergentes sont ici à l’œuvre : une police judicaire toujours plus proactive depuis la loi du 9 mars 2004, et une police administrative toujours plus à la recherche d’éventuels délinquants, surtout dans un cadre antiterroriste.

Lorsque deux astres convergent, une collision est à craindre : cette collision a bien eu lieu. Elle s’appelle « Loi sur le renseignement ». Aux termes de la Décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 il apparait que « les services spécialisés de renseignement pour l’exercice de leurs missions respectives relève de la seule police administrative ; qu’il ne peut donc avoir d’autre but que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions ; qu’il ne peut être mis en œuvre pour constater des infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves ou en rechercher les auteurs » (§9). Et il ressort à la police administrative la prévention du terrorisme entre autres. Même si pour ce faire les services de renseignement agissent de manière active. Cela a pour conséquence que le contrôle des techniques de renseignement peut échapper au juge judiciaire, et relever de la CNCTR, et du Conseil d’État.

Article 66 et liberté d’aller et venir. Le Conseil a longtemps eu une vision assez extensive de la notion de liberté individuelle jusqu’à ce qu’en 2004 il affirme que « la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile privé, le respect des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l’autorité judiciaire »[3].

Dans le cadre de l’état d’urgence[4] ceci lui a permis par la suite de soutenir que la privation de liberté ne constitue une atteinte à la liberté individuelle qu’à partir de la 13ème heure, ce qui a pour effet de ne pas soumettre au contrôle de l’autorité judiciaire l’astreinte à domicile ne dépassant pas 12 heures dans le cadre d’une assignation à résidence.

On le voit, la matière pénale se dessine en creux, excluant le juge judiciaire de certains contentieux

Champ du droit pénal ? Quid de la jurisprudence ? Quid des principes propres au droit pénal stricto sensu ?

Observons tout d’abord que pour le Conseil le texte faisant l’objet ne doit pas être séparé de son interprétation jurisprudentielle. On sait que la chambre criminelle a dans un premier temps rechigné à renvoyer aux Sages l’interprétation qu’elle donnait d’une loi. Mais le Conseil a affirmé très clairement dans une décision du 6 octobre 2010 que la qpc devait porter sur ces deux aspects, ce que l’on nomme le droit vivant[5] que la Cour européenne avait consacrée en 1979 dans son arrêt Sunday Times.

En droit pénal cette approche a été confirmée dans la décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011 [Responsabilité du « producteur » d’un site en ligne], le Conseil a abordé un texte pénal au regard de l’interprétation donnée par la chambre criminelle pour lui substituer une interprétation davantage conforme à la présomption d’innocence[6]. Pour y parvenir, les Sages postulent que « la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés » !

A l’inverse, la matière pénale au sens large permet sans doute au législateur d’imaginer des solutions qui ne pourraient être admises en droit pénal.

Le Conseil a une fois de plus abordé la matière pénale en creux en affirmant qu’une sanction pécuniaire non pénale (en l’espèce une amende civile en droit de la concurrence) pouvait être transmise en cas de fusion absorption. Le même droit de la concurrence exige le respect du principe de légalité des délits et des peines (Décision n° 2015-510 QPC du 7 janvier 2016 [Sanctions pécuniaires prononcées par l’Autorité de la concurrence]).

B – Ménager un trompe l’œil

Champ de la loi pénale. Contravention-loi. On a pu être étonné lors des débats relatifs à la loi Schiappa ; et la lecture de la loi du 3 aout confirme le sentiment. Le législateur a en effet incriminé l’outrage sexiste[7] … mais par le truchement d’une contravention. Cela semble quelque peu en contradiction avec les articles 34 et 37 de la Constitution.

Or il existe bien un livre VI dans le code pénal relatif aux contraventions ; et y figurait déjà depuis 2016 la contravention de recours à la Constitution. Qu’en pense le Conseil constitutionnel ?

Décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982

Loi sur les prix et les revenus, notamment ses articles 1, 3 et 4

« 11. Considérant, sur le second point, que, si les articles 34 et 37, alinéa 1er, de la Constitution établissent une séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement, la portée de ces dispositions doit être appréciée en tenant compte de celles des articles 37, alinéa 2, et 41 ; que la procédure de l’article 41 permet au Gouvernement de s’opposer au cours de la procédure parlementaire et par la voie d’une irrecevabilité à l’insertion d’une disposition réglementaire dans une loi, tandis que celle de l’article 37, alinéa 2, a pour effet, après la promulgation de la loi et par la voie d’un déclassement, de restituer l’exercice de son pouvoir réglementaire au Gouvernement et de donner à celui-ci le droit de modifier une telle disposition par décret ; que l’une et l’autre de ces procédures ont un caractère facultatif ; qu’il apparaît ainsi que, par les articles 34 et 37, alinéa 1er, la Constitution n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi, mais a voulu, à côté du domaine réservé à la loi, reconnaître à l’autorité réglementaire un domaine propre et conférer au Gouvernement, par la mise en oeuvre des procédures spécifiques des articles 37, alinéa 2, et 41, le pouvoir d’en assurer la protection contre d’éventuels empiétements de la loi ; que, dans ces conditions, les députés auteurs de la saisine ne sauraient se prévaloir de ce que le législateur est intervenu dans le domaine réglementaire pour soutenir que la disposition critiquée serait contraire à la Constitution ».

Mélanger les champs : Ne bis in idem. Le Conseil a dû par ailleurs croiser les champs lorsque la force des choses l’y a poussé. De nombreuses QPC ont en effet été soulevées quant à la violation de la règle ne bis in idem en matières fiscale et financière entre autres. Sans consacrer l’approche « Zolothoukine » de la CEDH, ni d’ailleurs la règle ne bis in idem, le Conseil a dû interroger les rapports entre répressions pénale et administrative et inventer des lignes de fuite : la comparaison des peines pour le droit financier, et la complémentarité des poursuites en matière fiscale… rappelée idans la décision « Thomas T. » il y a une semaine après avoir été formulée en juin 2014 dans l’affaire « Jérome C. » Une fois de plus observons qu’il y a tout à craindre de la puissance des algorithmes quant à l’anonymat des décisions de justice puisque dans ces deux cas, la simple intelligence humaine ne parvient à résoudre l’équation du patronyme. J’en viens presque à imaginer les très inquiets sénateurs lancer un « Expecto patronum »… sortilège de protection… contre la désanonymisation.

Fixer un cadre au législateur en matière n’est donc pas chose aisée. Renforcer son œuvre ne l’est pas davantage. On sait donc gré au Conseil d’avoir agi en faveur de la matière pénale.

II – Renforcer l’œuvre

Renforcer l’œuvre en l’encadrant est en réalité évident. Le cadre est une structure qui vient renforcer la toile et la préserver contre les aléas … de la vie. Car comme l’a dit le grand philosophe américain, Tyler Durden, même la Mona Lisa subit les affres du temps.

Le Conseil, par son action, en révélant ou découvrant un cadre constitutionnel, protège ainsi la matière pénale de certains excès législatifs.

Mais le renforcement n’est pas que physique. Le Conseil a également contribué à valoriser la matière pénale et à travers elle, le droit pénal. Certains principes, par leur constitutionnalisation, sont ainsi devenus des remparts destinés à nous protéger contre une répression galopante et difficilement contrôlable. Le droit pénal constitutionnel est ainsi érigé en ordonnancement supérieur guidant la main des peintres législatifs.

A – Protéger

Protéger est un paradoxe élémentaire de l’encadrement. Car protéger la matière pénale revient nécessairement à choisir, privilégier, ou à concilier. Doit-on favoriser les intérêts des personnes poursuivies ou l’objectif de valeur constitutionnelle consistant à réprimer les auteurs d’infractions. Le prévenu… la société… ou les victimes ?

Le Conseil se plait à rappeler qu’il ne possède pas un pouvoir d’appréciation similaire à celui du législateur.

Les intérêts de la répression apparaissent au premier plan quand est affirmée la possibilité d’un cumul de poursuites en matière fiscale, ou la possibilité d’une double convocation CRPC CPPV.

On sait que le Parquet est aux termes de toutes les réformes la plaque tournante de la procédure pénale. Le projet de loi en discussion Justice 18-22 en atteste encore… Néanmoins est-il valorisé quand le Conseil affirme qu’il est une sorte de subordonné indépendant ? Est-il valorisé quand les Sages soutiennent que le verrou de Bercy ne bride pas l’opportunité des poursuites. Il n’est pas faux ceci-dit qu’un chien en laisse est libre… quand on décroche sa laisse.

Quid des justiciables mis en cause ? Sécurité juridique à travers le principe de légalité, rétroactivité, présomption d’innocence, motivation des peines protègent ses intérêts.

Le mis en cause est sans doute privilégié quand est enfin encadrée l’audition libre avant même qu’une loi ne s’y intéresse… ou encore lorsque le Conseil revire sur le droit à l’assistance d’un avocat durant la garde à vue. Mais il y perd incontestablement quand il apprend qu’une double répression fiscale et pénale peut s’abattre sur lui. Ou quand une double poursuite est initiée par le biais d’une crpc et d’une copj. Mais clairement protégé par la devise de la France et la fraternité.

Quant aux victimes, leurs droits sont améliorés quand est reconnue la possibilité de se pourvoir sans le MP contre un arrêt confirmant ordonnance de NL. Un peu moins quand est soutenu qu’il n’existe pas de droit constitutionnel à interjeter appel d’une décision de relaxe ou d’acquittement.

Prises isolément ces décisions semblent traduire à tout le mieux des hésitations, au pire, un flou conceptuel. Mais cette approche est injuste.

De manière plus globale, on peut concéder au Conseil, que le droit pénal est avant tout en quête d’équilibre, équilibre dans un univers particulièrement instable. Les mis en cause sont le plus souvent happés par une machine judiciaire dont la violence et la puissance peuvent à tout le moins surprendre, voire écraser. L’État a de son côté l’obligation de défendre le dépôt du bien commun en recourant à la violence légitime. Et les victimes ont plus que jamais un droit à réparation se confondant avec un droit à la constitution de partie civile.

Marie-Anne Frison Roche avait dirigé une étude, il y a quelques années, intitulée : la justice, l’obligation impossible. La justice pénale n’échappe sans doute pas à ce constat. Le fait que le Conseil soit parfois perçu comme timoré, voire conservateur est peut-être le signe d’une humilité face à l’impossibilité de décrire l’obligation de justice. D’où le fait qu’il refuse le plus souvent de s’adjuger un pourvoir d’appréciation égal au Parlement, ou une grande liberté dans la modulation des effets de ses décisions.

A cet égard, difficile de passer sous silence la décision rendue à propos de la garde à vue en juillet 2010. L’inconstitutionnalité liée à l’absence d’avocat était dans l’air du temps… c’est l’ambition, on le sait, des feuilles mortes. Ne pas déclarer les textes contraires à la Constitution alors que l’affaire Brusco était sur le point d’être rendue revenait pour le Conseil à prendre le risque d’être dépassé sur sa gauche.

Au fond la décision est un beau revirement par rapport à 2004. Sur les effets de la décision, le report d’abrogation sans mesure transitoire tranche avec le fameux « quelles que soient les conséquences » de la juridiction suprême anglaise se penchant sur la custody écossaise[8].

2 positions, 2 approches. Il y a sans doute dans l’âme du Conseil constitutionnel, davantage la trace du Conseil d’Etat qu’un lien avec les Cours suprêmes étrangères. De sorte que l’appellation « Conseil d’Etat de la loi » colle le plus souvent assez bien au rôle joué par les Sages.

Il n’y rien d’infamant à le soutenir… même dans la bouche d’un privatiste… si tant est qu’un pénaliste soit un privatiste.

Cette approche plus « institutionnelle » que « suprême » de la justice constitutionnelle n’empêche pas le Conseil de valoriser la matière pénale à travers sa jurisprudence.

Il ne faut en effet pas oublier qu’encadrer permet de valoriser l’œuvre ; à tout le moins cela montre la valeur que l’on accorde au tableau.

B – Valoriser

De manière non anecdotique on peut dans un premier temps observer une valorisation quantitative de la matière pénale. Elle n’est sans doute pas à mettre au crédit du Conseil, celui-ci ne pouvant s’auto-saisir… mais tout de même. Rares sont les disciplines juridiques à jouir d’un contentieux aussi dense devant le Conseil. Le droit fiscal n’est pas en reste. Certes. Toutefois, je peux vous concéder que nous nourrissons avec le professeur Perrier une chronique bi-annuelle relative aux QPC en matière pénale. Et même en mettant de côté les décisions DC, inutile de vous dire que nous n’avons aucun mal à noircir les pages de la revue française de droit constitutionnel.. et ce depuis 8 ans !

Au-delà de cet aspect quantitatif, sur le plan qualitatif, le cadre peut donc valoriser l’œuvre qui est en son sein. Avouons que l’art de l’encadrement est un art ingrat. Nous avons tous en tête le tableau de la Mona Lisa. Qui se souvient du cadre ? Tout le monde a une idée assez fidèle de Guernica. A quoi ressemble le cadre ? Pour tout vous dire, il est quasi invisible !

Celui de la Joconde est imposant et ce d’autant plus que le tableau est relativement petit.

Mais dans tous les cas on peut remarquer qu’il met en valeur le tableau : soit par sa discrétion laissant penser que l’oeuvre n’a pas de limite et surgit ; soit en lui offrant une majesté presque équipollente au rococo.

Deux exemples extrêmes : les retables tout d’abord. L’exemple le plus frappant est sans doute le retable de l’agneau mystique peint par les frères Van Eyck et conservé à cathédrale Saint-Bavon de Gand. L’encadrement est presque plus populaire que la peinture.

A l’inverse, les œuvres de Basquiat telles qu’exposées à la fondation Louis Vuitton recourent très peu au cadre. Et quand tel est le cas, la dynamique est discrète, parfois vernaculaire.

Le cadre peut même révéler quelques surprises. La fille au ballon de Banksy a récemment défrayé la chronique ; l’artiste y avait caché une déchiqueteuse s’étant mise en route lors de la vente aux enchères chez Sotheby’s à Londres début octobre. Bref, le cadre peut jouer un grand rôle.

Et il est possible d’isoler des décisions ayant jalonné l’émergence du droit pénal constitutionnel ou ayant contribué à une évolution remarquable du droit pénal.

Deux types de décision peuvent être identifiées : celle dont la solution est importante malgré une argumentation en retrait ; celles ou décision et argumentation se cumulent pour devenir des grandes décisions.

Appartiennent à la première catégorie la décision de février 2008 sur l’application dans le temps de la rétention de sûreté. La non rétroactivité de ce texte inspiré par une loi allemande du 24 novembre 1933 fut la bienvenue. Le raisonnement pour y parvenir fut, doux euphémisme, particulièrement laborieux. Plus récemment la décision GAV de 2011 a osé un important revirement sur le droit à l’assistance de l’avocat durant les auditions au prix d’une application dans le temps assez timide. La décision Initié I a achevé de convaincre le législateur d’une nécessité de réformer le droit répressif des marchés financiers.. et ce malgré Initié II, et III. En même temps on sait très bien que les suites ne sont jamais à la hauteur des premiers films (même si je sais que les cinéphiles vont alors aborder le cas du parrain II, et de l’Empire contre-attaque).

Quant à la deuxième espèce : la décision de septembre 2002 ayant enfin consacré des PFRLR en droit pénal des mineurs a permis au Conseil de fixer un cadre constitutionnel qui sera bien utile dans le cadre de l’adoption, par ordonnance donc, du prochain code de justice pénale des mineurs.

La double intervention en 2017 à l’endroit du délit de consultation de sites djihadistes en fait également partie, le Conseil n’ayant rien cédé faire à l’ire législative.

Plus récemment encore la décision de mars 2018 relative à la motivation des sanctions prononcées par la cour d’assises est à mettre au crédit du Conseil. La motivation (nécessité de motiver toutes les peines en matière pénale) et la solution valorisent le droit pénal en rappelant la nécessaire intelligibilité de cette discipline. Le droit de punir a toujours été à ce prix sauf à vouloir provoquer la seconde mort de Cesare Beccaria.

Bien évidemment, le Conseil n’est pas seul à encadrer la matière pénale. La Cour européenne et la Cour de justice par leurs actions respectives bordurent cette discipline par la notion même de matière pénale et par l’application des principes inscrits dans la Charte et la Convention. Si le législateur et artiste de la loi, alors le Conseil et les autres juges suprêmes en sont des artisans venant s’assurer que les licences auto octroyées ne dépassent pas les limites fixées à priori ou a posteriori.

On le sait, l‘art se veut souvent spéculatif et récréatif, l’artisanat est performatif.
Et si les cadres du Conseil sont parfois jugés ou trop resserrés ou trop larges, gageons qu’ils ont le mérite d’exister. Cela est sans doute conforme à l’idée que les juristes se fond de l’État de droit depuis la 2nde guerre mondiale, les graves débordements législatifs pendant dans les années 30 et au début des années 40 ayant démontré que la solitude du législateur pouvait rapidement contrevenir aux principes élémentaires des sociétés civilisées, ailleurs comme ici. Avec la QPC le Conseil est entré dans une nouvelle ère. Son action s’intensifie, et se diversifie. Le Conseil tient des audiences où des plaideurs portent la parole de leurs mandants.

Bref, entre conseillers et juges, le choix est parfois difficile. Conformément à la tradition française, le temps amènera inéluctablement le Conseil à être plus une juridiction constitutionnelle qu’un Conseil. De nombreuses décisions en attestent déjà.

Ce temps commence déjà à courir, la modernité l’ayant empêché de suspendre son vol. Tous les devoirs qu’impose cette charge s’imposent progressivement au Conseil : en suivant Macbeth on peut estimer qu’ « avec le secours de la grâce » ces devoirs seront exécutés « à mesure, en temps et lieu ».

Mais il faut savoir rendre à César ce qui est à César. Si un universitaire peut parler du conseil constitutionnel, de loin et avec un grand nombre d’erreurs, rien de mieux qu’un Sage pour nous en conter la véritable histoire dans le champ qui est le nôtre, celui non plus du droit pénal, mais bel et bien de la matière pénale. Et à ce titre remercions à nouveau Mme Maestracci pour le temps qu’elle a eu la gentillesse de nous offrir.

 

[1] Favoreu (L.), « La constitutionnalisation du droit pénal et de la procédure pénale. Vers un droit constitutionnel pénal », in Droit pénal contemporain. Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Cujas, 1989 p. 169.

[2] Déc. n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, Rec. p. 63.

« 12. Considérant que l’article 92 a pour objet de compléter les dispositions de l’article 1768 ter du code général des impôts, qui sont elles-mêmes issues de l’article 4-3° de la loi n° 71-1061 du 29 décembre 1971 ; que les compléments apportés à la législation antérieure ont pour effet de rendre passible d’une amende fiscale égale au montant des revenus divulgués toute infraction aux dispositions de l’article L. 111 du Livre des procédures fiscales qui interdisent, en dehors des cas qu’elles visent, la publication ou la diffusion de toute indication se rapportant à la liste des personnes assujetties à l’impôt sur le revenu et concernant une personne nommément désignée ;

14. Considérant que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose notamment que : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » ;

Considérant que le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s’étend à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire ;

[3] Déc. n°2004-492 DC du 2 mars 2004.

[4] Déc. n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015.

[5] Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, (Adoption au sein d’un couple non marié) : « En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ».

[6] Sur cette question v. Claude LOMBOIS, « La présomption d’innocence », Pouvoirs, n°55 – Droit pénal – novembre 1990 – p.81-94.

[7] Article 621-1 (Créé par LOI n°2018-703 du 3 août 2018 – art. 15)

« I.-Constitue un outrage sexiste le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13,222-32,222-33 et 222-33-2-2, d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

II.-L’outrage sexiste est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe. Cette contravention peut faire l’objet des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’amende forfaitaire, y compris celles concernant l’amende forfaitaire minorée (…) ».

[8] [2010] UKSC 43, 26 October 2010, Cadder vs. Her Majesty’s Advocate, § 4.

Nicolas Catelan Droit pénal constitutionnel

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