Dans Zadig, Voltaire rappelle que « (L)es nations tiennent ce grand principe : Qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ». Bien avant 1747, le célèbre Digeste affirmait  qu’il « vaut mieux laisser impuni le crime d’un coupable que condamner un innocent » (Livre 48, Titre 19, §5). Mais la même compilation affirme un peu plus tôt : « Si quelqu’un est accusé il doit montrer son innocence, et il ne peut accuser avant d’être absous. Car il est déclaré par les constitutions qu’un accusé doit se justifier non par récrimination, mais par innocence » (Livre 48, Titre 1, §5). L’hésitation quant à la répartition des charges probatoires ne date donc pas d’hier : présomption d’innocence et charge de la preuve ne marchent pas main dans la main le long du fleuve tranquille de la justice. Le droit pénal en atteste plus que de raison. Tout sauf rares sont en effet les cas où la charge de la preuve, sans être renversée, est bel et bien partagée. Souvent la loi, parfois la jurisprudence, acceptent que l’autorité de poursuite prouve un certain nombre de faits avant que le prévenu ait à se justifier.

Ces occurrences peuvent étonner dans un système juridique où la présomption d’innocence est proclamée dans presque toutes les normes, de la loi à la Constitution en passant par la Convention de sauvegarde et la charte des droits fondamentaux.

Comprendre les mouvements à l’oeuvre impose évidemment de déconstruire certains mythes quelle que soit l’adhésion qu’ils suscitent. De la même manière qu’elle n’empêche ni la détention ni les saisies, la présomption d’innocence ne fait pas davantage obstacle à ce qu’un prévenu ait à prouver son innocence sous peine de condamnation. En quel principe du Digeste devons nous alors croire ? A dire vrai, aucune vérité n’y est inscrite. Avant même qu’Einstein ne découvre la relativité, le droit y avait déjà souscrit. Tel Monsieur Jourdain s’exclamant en prose, le droit a toujours parlé la langue de la relativité. Tout a toujours été histoire de limites et d’équilibre, de conditions et d’exceptions quand bien même des principes fondamentaux auraient été proclamés. D’ailleurs… ne suffit-il pas de s’appuyer sur des principes pour qu’ils finissent par céder ? Aussi convient-il de renouveler la question de la présomption d’innocence. Car il ne suffit pas de se demander si une présomption employée en droit pénal est conforme aux normes fondamentales. Il faut, plus simplement, se demander quelle est sa limite, son champ indépassable.

Ici encore, on comprend que la balle est dans le camp des magistrats. Les lois et les proclamations ne peuvent rien sans un juge qui en assure le strict respect. On le sait : la légalité participe d’une contradiction herméneutique. Le principe de légalité avait pour objet de protéger les citoyens des intempérances des juges. Or son respect est confié au contrôle… des juges. A défaut d’un tout autre système, la construction ne peut « tenir » que si ces magistrats aspirent à une véritable éthique de la légalité. Le droit pénal des affaires interroge fréquemment cette éthique. Or, les présomptions, conséquences que l’on tire d’un fait connu pour découvrir un fait connu, sont aussi vieilles que les hommes, et ne s’éteindront pas demain. Elles ne passeront le test de la justice qu’à condition que les juges les maintiennent dans une stricte proportion sévèrement contrôlée. La justice est sans doute une étincelle qui suffit à ranimer tous les soleils mais la lumière portée par la présomption d’innocence sur le droit pénal des affaires n’est-elle pas le halo d’une étoile morte il y a longtemps. Aussi est-il temps qu’une nouvelle lueur vienne recouvrir les vastes plaines du droit pénal économique. Les mythes ont certes la dent dure mais le monde finit toujours par vaincre l’histoire.

NC

Nicolas Catelan Varia

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