Thrène pour une peine
(Lexbase Pénal, édito, Edition n°3 du 22 mars 2018)
Le droit pénal se meurt. Vive le droit pénal.
Difficilement capable de penser la peine en dehors de la prison, alors que ses effets désastreux ont maintes fois été démontrés, le droit pénal est entré dans une longue agonie.
Intervenant toujours plus tôt sur l’iter criminis terroriste, il se transforme peu à peu en un rêve positiviste italien où l’état dangereux se substitue lentement mais sûrement à l’infraction classique.
Abandonnant toujours plus de territoire à l’autorité administrative, malgré des libertés individuelles en jeu et au nom d’une lecture restreinte de l’article 66 de la Constitution, le droit pénal en est arrivé à traiter, essentiellement à la chaîne, des délits en comparution immédiate comme un logisticien gère des flux.
Le droit pénal se meurt de modifications en temps quasi réel. Il en va ainsi lorsque le politique feint de découvrir que les hommes continuent à confondre pouvoir et sexualité narcissique… quitte à modifier ce qui a été fait en février 2017 quant à la prescription. Aux prises avec un législateur qui estime opportun de réintroduire le délit de consultation de sites terroristes, alors que le texte était considéré comme non nécessaire en février dernier, et ce avec l’issue que nous connaissons.
Le droit pénal, hésitant quant à son objet et son but, erre de Charybde en Scylla, condamné à appliquer des pansements sur des jambes de bois faute de renouveler une pensée aride.
La cause de tout ceci est connue, puisque dès 1764 Beccaria nous avait prévenus. Une réforme pénale n’aurait aucun sens sans une perspective globale de réforme de la société.
Ne sachant sincèrement penser la sanction hors les murs ni même ce qu’est la vérité après laquelle il court, le droit pénal meurt… mais il demeure ! Car bien qu’elles aient peu de sens le législateur continue à mobiliser les normes répressives comme on recourt à une pensée magique. Et il en ira ainsi des « fake news » et autres harcèlements de rue. Cela n’opèrera pas car la magie n’a jamais eu pour objectif de modifier le réel. Mais au moins donne-t-on l’illusion d’être actif.
Le droit pénal est mort. Vive le droit pénal.
« Il est des lieux où meurt l’esprit pour que naisse une vérité qui est sa négation même »*
Puisque les juristes, en général, et les pénalistes, en particulier, semblent incapables de faire vivre l’esprit cher aux Lumières qu’un célèbre Milanais a si bien décrit dans un petit ouvrage édité à Livourne il y a plus de deux siècles et demi, alors nait une vérité. Dure, et inlassable elle s’abat tel un flot de vagues déferlant sur un rivage dont les digues ont depuis longtemps cédé.
Cette vérité est toute empreinte d’une volonté politique plus ou moins assumée.
Le droit pénal sert surtout, n’en déplaise à l’artifice de l’article 130-1 du Code pénal, à gérer des cohortes de vulnérables que la société ne désire pas voir en face. Et il ne s’agit pas tant des « ennemis » désignés que sont les terroristes ou les pédophiles. La machine pénale écrase surtout ceux qui sont déjà à terre et que plus personne ne désire voir debout. Aussi est-ce la raison pour laquelle les enfermer dans des lieux indignes où grouillent rats, miasmes et déchets ne dérange pas outre mesure une société rompue à la détestation du délinquant.
L’esprit humaniste légué par les lumières est mort.
Une vérité du droit pénal demeure néanmoins et nous pouvons toujours l’accompagner à défaut d’avoir sauvé une idée sociale moderne et progressiste. Ce droit pénal dur, sec et éloigné d’une haute conception de la justice doit à la fois nous interroger et nous mobiliser. Puissions-nous le réfléchir en assumant l’idée enterrée par nos renoncements. Peut-être qu’ainsi, un jour, mourra une vérité pour en laisser apparaître une autre qui ne sera plus la négation de l’esprit, mais sa révélation.
« Le monde finit toujours par vaincre l’histoire »**
(*) Albert Camus, Le vent à Djemila, in Noces, 1939.
(**) Idem.
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