Dessine-moi un terroriste

Editorial, Lexbase Pénal, septembre 2020, n° 30.

 

Séparer le pangolin de son œuvre. Depuis plusieurs mois la France vit au rythme d’une épidémie : cluster, gestes barrières, confinement, masque et réanimation ont pénétré le quotidien existentiel et discursif des Français. Alors que le port du masque s’imposait progressivement, nous perdions sensiblement l’habitude des palpations et autres fouilles de sac à l’entrée des lieux publics. Las, si les exigences Vigipirate s’éclipsaient dans le halo d’un virus, s’ouvrait en septembre à Paris le procès des attentats de janvier 2015. Et cette actualité judiciaire de nous rappeler que le microbiote d’une chauve-souris n’est pas la seule menace qui nous guette quand bien-même avancerions-nous masqués. Ce dur retour à la réalité invite à interroger la rapidité avec laquelle le risque sanitaire a presque réussi à occulter le danger djihadiste.

Intrication. Le Gouvernement avait pourtant indiqué le chemin en créant un état d’urgence sanitaire rappelant étonnamment l’état d’urgence terroriste. Ce télescopage des stratégies est-il aussi surprenant qu’il le laisse paraître ? Il est certes aisé d’observer qu’un virus ne se combat pas de la même manière que le terrorisme. Évidemment. Mais il n’est pas réellement surprenant que ces menaces, entrées en collision dans l’espace de l’actualité, fassent l’objet d’une approche similaire par le truchement du droit pénal et ce, au-delà d’une sémantique commune. Cette praxis n’est pas irrationnelle… fût-elle déraisonnable. Il est patent que les États libéraux sont des États sécuritaires. Ou, pour le dire autrement, chacun sait que le libéralisme repose sur une offre étatique de sécurité. Si le gouvernement libéral s’engage à assurer la sécurité de ceux qui ont accepté de lui céder une part de leurs libertés, virus et terroristes jettent dans une lumière crue les carences du pouvoir. Du reste, on sait pourquoi l’État exècre le terrorisme : « ce qui suscite la colère réelle et non pas feinte du gouvernant, c’est que précisément le terrorisme l’attaque sur le plan où justement il a affirmé la possibilité de garantir aux gens que rien ne leur arrivera. On n’est plus dans l’ordre des accidents qui sont couverts par cette société « assurancielle » ; on se trouve en présence d’une action politique qui « insécurise » non seulement la vie des individus, mais le rapport des individus à toutes les institutions qui jusqu’alors les protégeaient. D’où l’angoisse provoquée par le terrorisme. Angoisse chez les gouvernants. Angoisse aussi chez les gens qui accordent leur adhésion à l’État, acceptent tout, les impôts, la hiérarchie, l’obéissance, parce que l’État protège et garantit contre l’insécurité » [1].

Entropie. Sans relever d’une approche identique, la gestion d’une pandémie est en mesure de révéler des défectuosités similaires. Si en principe l’État ne peut rien ou presque quand une épidémie surgit, son anticipation puis sa réaction seront néanmoins jugées à l’aune de sa dette de sécurité, terre promise du pacte républicain. À l’inverse du terrorisme, ce n’est donc pas la pandémie en tant que telle et à elle-seule qui remet en cause l’action politique des gouvernants. Sont passés au crible les mécanismes d’assurance supposés couvrir le risque sanitaire : il s’agit de prévenir et guérir. Or, les attentats de janvier de 2015 comme la pandémie attestent que de nombreux dispositifs censés garantir notre sécurité ont échoué. Dans le champ juridique l’État réagit, non pas en ayant recours à un état d’exception, mais en produisant un droit d’exception : un ordonnancement juridique des situations particulières qui, tôt ou tard, et peu ou prou, deviendra droit commun. Droit qui a vocation à filer toujours au plus serré la toile de sécurité qui enveloppe nos vies. L’état dangereux du terroriste se rapproche ainsi du risque sanitaire car est exigée une réponse forte à la hauteur des promesses déçues et des prévisionnistes déchus. Bien que la menace terroriste et le risque sanitaire diffèrent profondément dans leur nature, leurs traitements in fine se ressemblent : il s’agit de surveiller et punir. Car celui qui est exclusivement armé d’un marteau est désespérément condamné à voir en tout problème… un clou. Par la suite, en termes de communication, il conviendra d’invoquer la célèbre prophétie incantatoire « il n’y a pas de faille » pour nier que la perpétration d’un attentat puisse être liée à une quelconque erreur. Déni (ou perte du sentiment d’évidence naturelle) qui permet, entre autres, d’affirmer haut et fort que les recommandations liées au port du masque n’étaient en aucune manière liées à l’absence de stock (quand bien même le ministre des Solidarités et de la Santé, et le Conseil d’État auraient très tôt révélé lesdites pénuries).

Contingence ? Quelle leçon tirer de ce fil d’Ariane qui relie angoisses sociales et craintes individuelles ? Sans doute que la simple évocation d’un virus terroriste (ou d’un terrorisme viral) donnerait des sueurs froides aux plus optimistes des pénalistes (s’il en est).

Surtout, est ici révélée la clef de résolution d’un pseudo paradoxe : pourquoi un État dit libéral manifeste-t-il autant de relents sécuritaires quelle que soit la couleur politique de son Gouvernement ? Parce que le droit pénal, évidemment !

« Châtiez, châtiez, il en restera toujours quelque chose ».


[1] M. Foucault, La sécurité et l’État, Dits et Écrits, tome II, 1976-1988, Quarto Gallimard, 2017, p. 385-386.

Nicolas Catelan Varia , , ,

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